Chez Xavier

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Excuse me, I think I'm naked: on a wall of Barcelona.

Excuse me, I think I'm naked: on a wall of Barcelona.

Un jour - peut-être le sixième, mais on n'en est pas bien sûr - il y eut la vie. Par le plus grand des hasards, les richesses du monde naturel s'étaient combinées, donnant jour à cette formidable et incompréhensible machinerie que Darwin tenta un peu plus tard de remettre en ordre. Les cellules, microbes, parasites et autres invertébrés s'organisèrent en une si belle chorégraphie que l'arrivée de l'Homme sembla à Dame nature la conséquence imparable de ses facéties. Alors l'homme arriva, et il fit à sa créatrice et nourricière ce que tous les parents redoutent de leur enfant : il la poignarda, s'en fit l'exploitant, et oublia qu'il lui devait tout. Remus et Romulus vidèrent les mamelles de leur louve de mère, l'Homme vida la Terre de sa fertilité. La nature criait oxygène, l'homme hurla CO2. La nature proclamait le chaos harmonieux, l'homme aligna ses constructions avec l'inventivité d'une horloge sans aiguilles. La nature se rétrécit, se craquela, puis finit par montrer les signes de son grand age et de la fatigue occasionnée par son enfant terrible. L'homme n'eut cure de ces signes de vieillesse, mais commença tout de même à se soucier de la vieille dame malade comme on se soucie d'un comateux en mort cérébrale : il l'entretint de manière minimale, en priant pour qu'elle ne meure pas trop tôt et qu'elle lui laisse le temps de trouver une solution de repli.

Nous en sommes là, aujourd'hui. Mère nature, cette si belle mais si unique Terre qui nous nourrit tous, nous ne nous contentons pas uniquement de la fouler : nous l'étouffons. Développement durable, énergies alternatives, pollution contrôlée, rien de cela n'est la solution, car aucun de ces concepts ne répond entièrement à notre problème. Le terme de "développement durable", en vérité, résume parfaitement l'espérance de durée que peut se donner l'homme : éphémère. Un développement, ce n'est qu'une phase dans la vie d'un organisme : après la naissance viennent la croissance, le développement, puis enfin la sclérose, la dégénérescence et la mort. Le "développement durable", ce n'est pas le "développement perpétuel" finalement : ce n'est qu'un moyen de vivre plus longtemps, sans garantie que l'influence de l'homme sera suffisamment peu nocive pour que son existence soit pérenne. M'aurait-on menti, alors, en me vendant ma vie comme une source de profit commun, mon rôle dans cette aventure étant d'enrichir le bien de tous sur le chemin de la sagesse et de la prospérité ? Pire, me serais-je trompé en me figurant que, Dieu n'existant pas, la seule raison justifiant notre présence ci-bas est d'influencer "les autres" pour tendre vers cet idéal de bonnes valeurs ?

- Et alors, si j'ère dans les sombres brouillards de l'erreur, quel est le but de mon existence, quel est mon rôle ? Peut-être celui de jouir, bêtement, et chaque jour un peu plus. La vie est un chemin, une route sur laquelle nous progressons tous, jour après jour. Et tout ce que l'on peut en espérer, c'est d'aller le plus loin dans cette voie, en retirant le plus de plaisir possible de chacun de ses pas. En se contentant de n'être qu'une cellule de l'humanité, tout aussi périssable que toutes les autres cellules, et ce quel que soit son mérite.

Le monde bouge, il évolue en permanence. Il se transforme sans cesse, dans d'infinies directions : alors que l'esprit d'une personne s'illumine en Inde et que de nouvelles idées y apparaissent, les conséquences de la présence humaine laissent leurs premières marques en Arctique, en Océanie ou en Amazonie. Au même instant, des couples se forment, des drames familiaux se font jour, des prodiges de la création humaine sont dévoilés. Le monde de chacun, quelles que soient les limites qu'on lui donne, est une merveille d'évolution et d'équilibre. En vérité, chacune de ces catastrophes de la nature ou de l'humanité contre lesquelles on cherche vainement à lutter, ne sont en fait que des erreurs de jeunesse, des tentatives inachevées, des microdrames. L'inquiétante alerte que l'on voit dans la fonte des glaces arctiques, la disparition d'espèces animales, la chute des cours de la bourse ou la déculturation de l'espèce humaine, n'est-elle pas le simple signe de notre résistance au changement, de notre désillusion de l'idéal futur perdu ?

Nos vérités se déclinent sur deux plans différents : les vérités passées, et nos vérités prospectives. Si les premières s'inscrivent dans le passé sous la forme de faits vérifiés, les secondes aimeraient annoncer un futur, mais ne sont en vérité que des espoirs, des attentes, des visions, et leur intérêt absolu ne se borne qu'à la prospection ou à l'idéalisme; et ce sont ces visions qui font les espoirs déchus.

Le monde, donc, avance tel une bête blessée, souffrant de ses maladies et les chassant à coups de périodes de grosses quintes glaciaires. L'homme est le parasite de la Terre, il en disparaitra un jour - et il faut croire que c'est dans l'ordre des choses.

  • written on: 2006-05-08